Problématique:pourquoi le mouvement hippie a-t-il créé un tel engouement chez la jeunesse des années 60 ?
"En 1968, l'Amérique s'interroge: qui de ces deux hommes avait raison?":
"Ces jeunes hippies évoquent les premiers chrétiens... Il y a chez ces gens une bonne humeur, une noblesse, une gentillesse, une tranquillité - bref, quelque chose de bon" James Pike, évêque de Californie, février 1967
" Si la vague hippie étend encore ses ravages, on en parlera encore dans dix ans comme d'une catastrophe mondiale." Richard Travern, sociologue à l'université de Boston, novembre 1967
Le mouvement hippie fut classé par la presse mondiale comme l'un des dix événements les plus marquants de l'année 1967. Aujourd'hui encore, les hippies et leurs idées sont toujours connus, bien que la plupart des personnes ne s’arrêtent qu'à leurs slogan "Peace & Love". Au fil de nos recherches, nous en sommes arrivées à nous poser la question suivante: pourquoi le mouvement hippie a t-il crée un tel engouement chez la jeunesse des années 60 ?
En nous basant sur trois faits concrets tels que la guerre du Vietnam, Woodstock et Katmandou, nous montrerons dans un premier temps que la jeunesse des années 60 était une jeunesse révoltée, puis qu'elle était à la recherche d'une certaine utopie communautaire, pour enfin finir par la consommation de drogue et un fort intérêt pour la culture orientale.
Nous avons accompagné nos recherches de plusieurs documents écrits tels que :
Charles Duchaussois. Flash ou le grand voyage. Fayard. 1971. (Le livre de poche)
René Barjavel. Les chemins de Katmandou. Presses de la cité. 1969.
Michel Lancelot. Je veux regarder Dieu en face. Albin Michel. 1968
La guerre du Vietnam débute en 1959 et s’achève en 1975. Cette guerre est une guerre civile opposant la République démocratique du Vietnam (Nord Vietnam) soutenue par le bloc de l’Est et la République du Vietnam (au Sud) soutenue par les Etats-Unis. Ce conflit est étroitement lié à la Guerre Froide, en effet les deux puissances s’affrontent par le biais de la population vietnamienne. La guerre du Vietnam eut aussi de forts impacts sur la guerre civile laotienne et la guerre civile cambodgienne.
Au nord, le Vietnam est sous contrôle de la République démocratique du Vietnam (RDVN) qui est un régime communiste, le Sud quant à lui est dirigé par la République du Vietnam (RDV) qui est un régime nationaliste.
Suite au désir de la RDVN de réunifier les deux états et d’étendre son régime communiste à l’ensemble du pays, afin de libérer le Vietnam d’une "agression étrangère impérialiste", une guerre civile, qui n'est rien d'autre qu'une guerre de libération coloniale, éclate.
Face aux soldats vietnamiens du nord, se trouvaient de nombreux soldats américains dont 3,5 millions de jeunes, issus de la première génération à ne pas avoir connu la première ni la seconde guerres mondiales qui se confrontèrent aux difficultés d’un terrain inconnu.
En effet, les conditions de vies des combattants étaient plus que déplorables. Tout d’abord confrontés au climat chaud et humide de la jungle vietnamienne qui leur était inconnue, ils doivent affronter en plus des pièges laissés par les Vietcongs leur plus grande peur : les serpents et leurs blessures mortelles. A cela se rajoutent les moustiques, provoquant le paludisme, et les sangsues se trouvant dans les marécages. Malgré de telles conditions, les moyens médicaux sont très limités comme le dit un commentaire dans le documentaire réalisé en 2009 intitulé "La guerre du Viet Nam (images inconnues)" de Daniel Costelle : « L’infirmier ne peut pas grand-chose, il ne sait pas grand-chose ».
Le conflit au Vietnam est fortement médiatisé, en effet les autorités n’ont aucun contrôle sur les diverses informations et images circulant aux Etats-Unis. L’offensive du Têt, attaque surprise de la RDVN contre les principales positions américaines, dont l’ambassade de Saigon, traumatisa l’opinion publique.
Aux États-Unis, la population se révolte. Entre 1955 et 1965 Martin Luther King, par sa lutte pour les droits civiques des Noirs, marqua le début de la contestation politique aux USA. Le 15 avril 1967 jusqu’à 200 000 personnes défilent à New York afin de protester contre cette guerre. Plusieurs centaines de jeunes détruisent leurs papiers militaires à Central Park, d’autres fuient au Canada pour échapper à la guerre. Des marches de protestations sont organisées, les étudiants américains se révoltent et occupent le campus de l’université de Columbia. Des personnes telles que Norman Morrisson, Alice Hertz, Florence Beaumont et George Winne Jr en sont arrivés à des positions extrêmes, au point de s’immoler par le feu.
En 1972 nous assistons à la vietnamisation du combat : les troupes américaines se retirent. En 1973 sont signés les accords de paix de Paris. La prise de Saïgon en 1975 par les communistes marque la fin de ce conflit. La guerre du Vietnam marqua toute cette génération et dévalorisa l’image des États-Unis qui font face à leur première défaite militaire.
La jeunesse américaine des années 60 fut profondément marquée par la guerre du Vietnam. La jeunesse hippie souhaite mettre un terme à cette guerre, d’anciens combattants hippies, suite aux horreurs qu’ils ont vécues durant les combats, prônent le pacifisme à travers le monde. Ils désirent un changement des valeurs de la société américaine, et un monde plus juste. Ils utilisent des moyens de protestations pacifistes tel que les sittings ou le dépôt de fleurs sur les armes des forces de l’ordre, c’est le « power flower ».
Les problèmes de fond :
La jeunesse des années 60 est une jeunesse révoltée. Parmi les raisons de son mécontentement, se trouve un conflit entre générations, plus particulièrement le refus de l’autorité parentale, comme nous le montre ce discours d’une jeune fille à son père milliardaire, extrait du livre Les chemins de Katmandou de Barjavel : « Tout ça, nous le savons, dit-elle, très calmement. Vos petits jeux imbéciles… Vous croyez que vous avez allumé le feu… Vous croyez que vous l’éteindraient quand vous voudrez ?... Nous brûlerons tout ! Dans le monde entier !... vous ne vous rendez compte de rien, vous êtes morts, vous êtes pourris, vous tenez encore debout parce que vous vous imaginez que vous êtes vivants, mais nous allons vous balayer comme de la charogne ! ».
Elle rejette également une certaine forme de vie sociale qu’elle juge trop stricte ainsi que la société de consommation, qu’elle cherche à fuir.
En France, la jeunesse se révolte pour les mêmes raisons que de l’autre côté de l’Atlantique. Comme nous le montrent les propos d’un jeune hippie français recueillis par Bernard Plossu : « Ainsi vont les choses dans nos sociétés dites de consommation : passé l’âge adolescent, âge irrécupérable mais dont on sait qu’il n’y a qu’un temps, une certaine image de vous-même vous attend, tirée d’ailleurs à plusieurs millions d’exemplaires ; elle vous guette d’autant plus tôt que votre famille ne dispose pas des ressources financières qui, quelques années encore, vous garantiraient le droit à l’irresponsabilité. Gare à vous si vous ne marchez pas ensuite. On vous culpabilisera d’abord ; quelques bonnes lois feront le reste. ». Le mouvement hippie est encore peu connu en Europe occidentale à cette époque.
En France, la jeunesse se révolte. Ses revendications sont proches de celles de la jeunesse américaine et sont fortement influencées par les événements se déroulant de l’autre côté de l’Atlantique. Cette période est plus connue sous le nom de mai 68, que les Historiens divisent en trois phases : la période étudiante (3-13 mai), la période sociale (13- 26 mai) et la période politique (27-30 mai).
Bien que sans débouché politique direct, mai 68 eu un impact considérable sur le plan culturel et social.
L’apogée des Trente glorieuses développa une forte société de consommation. Cependant la situation économique française se détériore. Le chômage fait son apparition, touchant tout particulièrement les jeunes non diplômés. Les salaires commencent à baisser, ce qui entraine une crainte des travailleurs au sujet de leurs conditions de travail et de vie. De plus, de nombreux bidonvilles subsistent encore, comme celui de Nanterre exposé sous les yeux des étudiants.
La jeunesse Française s’intéresse de près aux luttes menées aux Etats-Unis pour l’émancipation des noirs, ainsi que les protestations et les sit-in des hippies luttant pour la fin de la guerre du Vietnam. Bien que les opinions divergent, la jeunesse française est très proche de l’idéologie américaine à savoir un idéal politique très libéral, un respect des libertés individuelles ainsi qu’un refus de la société de consommation et des idées anti nucléaires. Le mécontentement de la jeunesse étudiante sera suivi par celui des ouvriers, dans un mouvement de "convergence des luttes".
Les faits :
Le 22 mars, des groupes de contestataires se font connaître par l’occupation d’un étage de la tour administrative de la faculté de Nanterre. Ils protestaient contre des arrestations ayant eu lieu quelques jours plus tôt lors des manifestations contre la Guerre du Vietnam. Le 2 mai est organisé à l’université de Nanterre une journée « anti impérialiste ». Le lendemain, un mouvement de contestation prend forme au quartier latin et à la Sorbonne, ce qui marque officiellement le début de mai 68.
Le vendredi 3 mai, se tient dans la cour de la Sorbonne un meeting de près de 400 étudiants. Craignant une attaque des étudiants d’extrême droite, la police évacue la Sorbonne, arrêtant une centaine d’étudiants qui réagissent de façon violente contre les forces de l’ordre. (jets de pavés, barricades…) Durant ces manifestations naitront des slogans tels que : « Il est interdit d’interdire », « Vivre sans temps morts et jouir sans entraves », « Soyez réalistes, demandez l’impossible » ou encore « Prenez vos désirs pour la réalité ».
Dans la nuit du 10 au 11 mai, plusieurs dizaines de barricades sont dressées dans le quartier latin, prises d’assaut durant la nuit par les CRS. Cette altercation provoqua plusieurs centaines de blessés. Le surlendemain, la population prenant majoritairement la défense des étudiants participe à une démonstration de solidarité. Le lundi 13 mai, une manifestation traverse Paris, comportant presque un million de manifestants. Une grève générale symbolique a alors lieu ce jour là, qui ne s'arréte pas et s'étend dans le courant du mois. Les étudiants sont rejoints par les ouvriers.
Le 17 mai, les étudiants se retirent de la Sorbonne.
couverture du livre "Je veux regarder Dieu en face"
« Je te parie que dans un avenir proche, les politiciens de droite vont se servir du problème de la drogue et de la toxicomanie comme excuse pour créer une organisation policière au niveau mondial » W.S Burroughs dans Drugstore Cow-Boy, film de Gus Van Sant sorti en 1989.
La révolution psychédélique est un élément déclencheur décisif de la création du mouvement hippie. Le livre « Je veux regarder Dieu en face » écrit par Michel Lancelot offre une chronologie détaillée permettant de comprendre l’apparition de la religion du « L.S.D 25 » :
Timothy Leary, docteur en psychologie est un ancien catholique converti à l’hindouisme.
Aout 1960 : Timothy Leary teste les champignons hallucinogènes.
Janvier 1961 : l’écrivain Aldous Huxley affirme que « certaines drogues peuvent développer, repousser, élargir les limites de la pensée humaine ». Rencontre et association de Leary et Huxley
Mai-Octobre 1961 : Leary fais absorber de la psilocybine à des étudiants volontaires. Protestation des enseignants.
Mars 1962 : Le LSD se repand parmi les étudiants d’Harvard
Eté 1962 : en Californie, de Los Angeles à San Francisco, ainsi que chez les poètes et intellectuels de la Beat Generation le LSD trouve une multitude d’adeptes.
Automne 1962 : Leary fonde son premier mouvement : la I.F.I.F (International Federation for International Freedom) La Fédération Internationale pour la Liberté Internationale. De ce mouvement sortiront les premiers Hippies.
1964 : Fondation de la Revue Psychédélique par Leary et Ralph Metzner. Certains anciens de la Beat Generation se joignent à lui. L’expérience de la drogue est devenue mystique.
Janvier 1966 : Apparition des sept premières communautés hippies.
Eté 1966 : Les Hippies sont maintenant plus de 150.000 répartis à travers les Etats-Unis.
19 septembre 1966 : Leary annonce la formation d’une nouvelle religion. La « League of Spiritual Discovery » (Ligue de la Découvert Spirituelle) fondée sur l’usage sacré du LSD.
6 octobre 1966 : Golden Gate Park de San Francisco premier love-in (réunion d’amour entre des êtres humains) de l’ère hippie. 28000 personnes y participent.
16 mars 1967 : Le Dr Marmon M Cohen affirme « que le LSD détériore les chromosomes humains » (danger d’enfants-monstres) et demande l’arrêt d’urgence de cette « épidémie religieuse ».
17 Mars 1967 : Réplique aux affirmations du docteur Cohen par le Dr Ditman dans le New York Times : le LSD est un excellent moyen de lutter contre l’alcoolisme, n’a rien d’un « bouillon diabolique ».
25 mars 1967 : Tout le monde ne parle plus que de LSD et des « hippies » 130 usagers du LSD ont échoué aux services psychiatriques de l’hôpital Bellevue pendant ces dix-huit derniers mois.
8 avril 1967 : Enquête menée à l’université de Princeton : 15% des élèves reconnaissent avoir pris de la drogue. Seulement, combien n’ont rien dit ? La population s’interroge.
7 Juillet 1967 : Les hippies sont à présent plus de 350000. Les fugues d’adolescents se multiplient dans les familles américaines, toutes classes sociales confondues. La police est sur les dents. Le magazine « Time » consacre sa couverture aux Hippies et leur accorde des intentions philosophiques et religieuses. C’est à peut près à cette époque le phénomène hippie arrive en France.
«Fumez du haschisch pour voir le vrai, mangez du LSD pour le vivre» Harry Monroe
Le mouvement hippie est un mouvement contre culturel qui revendique de nouvelles valeurs à contre courant de la société traditionnelle qui, à l’époque, est portée par la famille, le travail, la patrie. Là où la société, qu’ils rejettent, fait du sexe un tabou, eux le libéralise ; il leur paraît plus concevable de diffuser des images d’amour que des images de guerres.
Au fil du temps le mouvement hippie se tourne vers une spiritualité indoue rejetant alors le protestantisme américain. Les hippies souhaitent développer une société à leur image, ils utiliseront comme ouvrage de référence "L’île", écrit par Aldous Huxley et décrivant une communauté vivant sur une île, consommant du LSD pour atteindre un état d’exaltation spirituelle. La jeunesse consomme la drogue dans le but de méditer à travers un paradis artificiel et de libérer l’esprit du corps. Cette nouvelle culture basée, au moins en apparence, sur la sagesse, la spiritualité, la simplicité, attire les jeunes en dehors de la société occidentale car la culture hippie est fortement influencée par la culture indoue.
Leur désir de promiscuité avec la nature et les animaux, la nudité ou la vie en communauté sont en effet plus propices à l’épanouissement dans ces endroits. Ils cherchent à inciter la société à laisser de coté son matérialisme pour laisser place à la simplicité et à la sagesse humaine. S’ajoute à cela le refus de se conformer au moule commercial, ils adoptent un mode de vie très rudimentaire et la mode psychédélique.
La norme est quelque chose qu’ils fuient, ils souhaitent se démarquer de cette société de « stress ». Leur culture représente pour les jeunes un exemple admirable de paix dans un climat de guerre, elle véhicule l’image d’une culture intense et authentique.
« Trois jours de paix et de musiques. Des centaines d’hectares à parcourir. Promène toi pendant trois jours sans voir un gratte ciel ou un feu rouge. Fais voler un cerf volant. Fais toi bronzer. Cuisine toi-même tes repas et respire de l’air pur », Publicité officielle de Woodstock.
« Jeune homme, avec un capital illimité, recherche opportunités légitimes et intéressantes d’investissement et propositions d’affaires » annonce parue dans le Wall Street Journal.
Derrière l’appelation « Jeune homme » se cachaient : John Roberts et Joel Rosenman, recherchant des idées novatrices à financer. Arthus Kornfeld et Michael Lang répondirent à cette annonce et rencontrèrent les futurs producteurs. Ils confient dans les Woodstock Diaries : « Je pensais qu’ils étaient complètement fous, ils n’avaient aucune idée de ce qu’ils projetaient de faire ». Suite à de longues discussions, ils décidèrent de créer un festival d’art et de musiques.
Ce festival devait se tenir à cinquante kilomètres au dessus de Woodstock, à Wallkill mais la population de ce village refusa. Cependant, un fermier nommé Max Wasgur leurs loua son domaine White Lake de 243 hectares situé à Bethel. Malgré ce changement imprévu de site, appellation de Woodstock fut conservée.
Woodstock demanda neuf mois de préparation et se déroula les 15, 16, 17 et 18 août 1969. A la fin de la première journée, les organisateurs décidèrent d'en rendre l’accès gratuit : « From now on, this is a free concert ! ». Cette décision permit à Woodstock de rassembler 450 000 jeunes représentants de la culture hippie. Woodstock est avant tout un mouvement de contestation contre la guerre du Vietnam. Malgré de nombreuses difficultés (problèmes techniques, mauvaises conditions scéniques pour les groupes, orages…) ce festival fut le lieu de campement de toute une génération hippie à la recherche d’un idéal communautaire et d’un retour à la nature.
On peut considérer que le festival pop de Monterey, qui eut lieu deux ans avant Woodstock en fut un élément déclencheur. Ce festival a mis en valeur les nouvelles idées de la culture jeune et fédéra les contre-courants. En 1967, date du festival, la consommation de drogues comme le LSD ou la marihuana se généralise, de nombreux jeunes souhaitent "élargir leur champ de conscience". Ces festivals adressent un message de paix et laissent une image pacifique et harmonieuse de cette jeunesse révoltée. La jeunesse hippie est attirée par de grands rassemblements tel que Woodstock car elle y retrouve et y exprime son idéologie et son désir rébellion, en particulier face à la guerre du Vietnam.